LE BLUES

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Le blues, c’est quoi ?

Le blues est LE style de musique majeur du 20ème siècle duquel descend la grande majorité des styles musicaux que l’on connaît tels que le jazz, le rock et tous leurs genres dérivés. Il apparaît entre les années 1850 et 1890, son point de départ est la région du Delta du Mississippi au sud des États-Unis. Il va migrer plus tard en direction de Chicago principalement, ainsi que Détroit pour ensuite traverser l’Atlantique et atterrir en Europe avec l’Angleterre comme point central.

Delta du Mississippi

Le terme de blues vient de “blue devils” que l’on peut traduire par “idées noires”. Le chant contient beaucoup de mélancolie, parle de la dureté de la vie, souvent avec ironie et humour noir. La musique est souvent jouée en gamme pentatonique, sur un rythme syncopé (accentuer les temps faibles). Au début les premiers instruments étaient : 

  • Harmonica
  • Banjo
  • Matériaux de récupération (kazoo, diddley-bow…)
  • Flûtes

Plus tard, l’éventail d’instruments s’est agrandi : 

  • Guitare
  • Contrebasse
  • Violon
  • Mandoline
  • Instruments de fanfare (trompette, trombone…)
  • Guitare électrique et basse
  • Piano
  • Batterie

Les origines du blues

17ème siècle : les work songs

Au 17ème siècle se déroule une des périodes les plus sombres de notre histoire. En effet, les occidentaux pratiquent le commerce triangulaire, c’est-à-dire la traite des noirs. Ils kidnappent des africains pour les envoyer en Amérique et les réduire en esclavage afin de satisfaire les besoins en coton et en sucre des européens. C’est dans ces plantations que le Blues prend sa source, car ici naissent les “Work songs”, des chants inventés par les esclaves, sur le modèle de Call & Response (successions de deux phrases musicales, la deuxième étant un commentaire ou une réponse à la première) qui accompagnent le rythme de leurs outils et les aident à se motiver, tenir le coup.

Une fois la journée de travail terminée, les esclaves prenaient leurs instruments fabriqués avec des matériaux de récupération comme des canettes, des cordes ou du bois, ce qui donnera le blues (blue devils, qui se traduit par “idées noires”).

Esclaves jouant de la musique avec des matériaux de récupération

Fin de la guerre de sécession

En 1865, après 4 années de guerre civile qui opposait les états du nord (anti-esclavagistes) et les états du sud (esclavagistes), la guerre de sécession prend fin. Les états du nord ont gagné et abolissent l’esclavage. Cependant, même si les populations noires n’ont plus le statut d’esclave, ils ne sont toujours pas éduqués, ont besoin d’argent et les propriétaires de champs, eux, ont besoin de main d’œuvre, donc beaucoup retournent y travailler. Leur changement de situation n’est donc pas flagrant, si ce n’est qu’ils sont payés (très mal) et qu’ils peuvent partir s’ils le souhaitent. De plus, la ségrégation raciale continue ; les noirs ne jouissent pas des mêmes droits que les blancs, l’accès à de nombreux lieux publics leur est restreint et personne ne les embauche. 

Mélange de culture

À cette période, la migration vers les USA au départ de l’Europe est importante. Ce sont des populations pauvres, principalement irlandaises (dans la région du Delta du moins), qui rejoignent les travaux de champs et de construction de chemin de fer. Le blues est donc un mélange de culture : il prend sa source dans les “work songs”, se mélange avec les chants d’évangiles des églises Baptistes noires (qui donneront par ailleurs le gospel) et avec les chants folkloriques irlandais qui partagent le quotidien des afro-américains. Une des formes antérieures du blues est le “fife and drums” ou “hill country”, un style du sud des USA qui mélange la musique militaire (caractérisée par le son de flûte et de tambour) et les percussions africaines. Comme pour le jazz, le ragtime (style au rythme syncopé, saccadé, caractéristique du cinéma muet des années 20) est également un ancêtre du blues.

1900 : Apparition du terme de “blues”

Au début du 20ème siècle, l’enregistrement existe mais est très inaccessible. Par conséquent, on ne sait pas vraiment qui sont les véritables pionniers du blues. On sait cependant qui est le premier à avoir utilisé le terme blues” sur ses partitions et à le commercialiser. WC Handy, surnommé “The father of the blues” est un fils de pasteur, descendant d’esclave et musicien (trompette, cornet, piano et guitare). Il attendait sur le quai d’une gare lorsqu’un guitariste commence à jouer (avec un couteau), un style de musique que Handy ne connaissait pas.

WC HANDY

Il commencera à composer des musiques de ce style, qu’il appellera blues. Le public afro-américain étant très réceptif, Handy commence à jouer dans plusieurs grandes villes des USA. En 1912, il publie la partition de “The Memphis Blues”, considéré par certains comme la première musique de blues.

1920 : Développement de l’enregistrement

Premiers enregistrements

Dans les années 1920, l’enregistrement audio a vu de grandes innovations apparaître. Cela permet d’améliorer grandement la qualité du son, de faciliter l’utilisation des appareils et le rend plus accessible. Les premiers artistes à être enregistrés sont des femmes noires, chanteuses de blues. La chanteuse Mamie Smith marquera l’histoire car le 10 août 1920, elle enregistre “Crazy Blues” à New-York, le premier enregistrement de blues vocal. Le titre sera vendu à 75 000 exemplaires dès le premier mois de sa sortie, ce qui incitera les maisons de disque à produire d’autres chanteuses de blues.

Mamie Smith

En 1923, Sylverster Weaver devient le premier guitariste de blues afro-américain à être enregistré, avec son titre “Guitar Rag”.

Sylvester Weaver

Bessie Smith, une autre figure féminine de la “Great Black Music”, enregistre “Saint Louis Blues” chez Columbia Records en 1925. En 1929, elle tourne dans un court métrage qui retrace l’histoire de la chanson qu’elle interprète dans cette même vidéo, ce qui est plus ou moins considéré comme le premier clip de l’histoire.

Bessie Smith

Le country blues

La partie la plus intéressante et la plus influente du blues, qui laissera le plus de trace sur le jeu de guitare des musiciens actuels, se passe dans le Delta du Mississippi. Au début du 20ème, les plaines du Mississippi, d’habitude recouvertes d’eau, s’assèchent. De nombreuses terres fertiles voient donc le jour et les investisseurs s’empressent d’en profiter. Des ouvriers, principalement noirs américains, se retrouvent à y travailler, ce qui fera émerger le country blues plus ou moins caractérisé par un artiste avec sa guitare, chantant son quotidien de paysan. Le premier de cette région à être enregistré est Freddie Spruell avec le titre “Milk Cow Blues” en 1926.

1930 : À la recherche de nouveaux talents

À cette période, tout le sud des USA fourmille de musiciens. En parallèle du blues dans le Delta, le jazz prend de l’importance également à la Nouvelle-Orléans. Beaucoup de producteurs parcourent les campagnes afin de trouver des bluesmen à enregistrer. 

En plus des producteurs, deux experts musicologues John Lomax et son fils Alan Lomax (qui est aussi anthropologue) sont envoyés dans les campagnes à la recherche de bluesmen pour les enregistrer et conserver la musique traditionnelle. Mais à cette époque, le blues est un peu considéré comme une musique de « fou« , de voyou. Nos deux experts vont donc se rendre en prison, voir s’ils trouvent des bluesmen

John Lomax
Alan Lomax

Leadbelly

Nos deux experts font la rencontre de Leadbelly qui cartonnera avec le titre “Where did you sleep last night”, titre repris par Nirvana. Kurt Cobain déclare même lors d’un live que Leadbelly était son interprète favori

Leadbelly ne sera pas très populaire auprès du public noir-américain, mais va déchaîner le public blanc, autant en bien qu’en mal. Les conservateurs et suprémacistes blancs y verront le parfait exemple de la brutalité des “nègres”, alors que socialistes ou autres personnes de gauche deviendront de fervents supporters du blues américain, car ils y voient des revendications sociales.

Leadbelly

Robert Johnson et le “pacte avec le diable »

En 1936, Robert Johnson sera un des premiers à faire une synthèse du blues américain (parfois accusé de plagiat). C’est une légende du blues, un véritable virtuose. Robert est celui qui a fait naître le mythe du “pacte avec le diable”. Voici l’histoire : 

Robert Johnson

Robert Johnson est né en 1911 dans le Mississippi. Il se prend rapidement de passion pour la musique et souhaite devenir un artiste. Robert est fan de Son House, une autre figure importante du blues. Par chance, Son House vient souvent jouer dans sa ville. Un soir, Robert vient le voir et insiste pour jouer de la guitare. Son House finit par accepter et se moque de son jeu en lui disant qu’il ne sait pas jouer. Vexé mais déterminé, Robert part du village pendant plusieurs années. Il revient un jour, l’air de rien, retourne insister auprès de Son House pour jouer et tout le monde est choqué : Robert joue comme personne, il est devenu un véritable virtuose.

Son House

Il va alors raconter son histoire. Un soir, alors qu’il se promenait dans le Mississippi, il arrive à un carrefour. Très fatigué et somnolent, il se fait réveiller par une brise fraîche et aperçoit une grande silhouette avec un chapeau. La silhouette se penche vers lui, prend sa guitare, l’accorde et lui rend avant de disparaître.

Cette histoire est évidemment fausse, mais contribue à sa légende et à celle du blues en général. Ce que l’on sait maintenant, c’est que pendant qu’il était absent, il a rencontré une femme avec qui il est resté deux ans. Il a également rencontré un bluesman qui lui a appris à jouer de la guitare, mais c’est tout ce que l’on sait. 

À son retour, maintenant devenu une légende, il joue avec ses idoles, les gens viennent le voir exprès. Il enregistrera seulement deux disques et mourra peu après l’enregistrement du deuxième à l’âge de 27 ans, ce qui contribue à alimenter le mythe du pacte avec le diable. Il sera le premier du “club des 27”.

Un jour, un producteur fan de Robert Johnson vient le chercher pour organiser un concert sauf que Johnson est déjà décédé lorsqu’il arrive. Le producteur remplace donc Robert par Big Bill Broonzy qui va devenir un des premiers bluesmen à jouer sur plusieurs continents et à acquérir une certaine popularité.

Big Bill Broonzy

Il a cependant tendance à mentir : il va prétendre être un bluesman venant du Delta du Mississippi alors qu’il était un citadin de Chicago. On peut le comprendre car à l’époque on ne peut pas vraiment imaginer un bluesman venir de la ville, c’est moins vendeur.

1940 – aujourd’hui : âge d’or du blues et évolution

La guitare électrique

Depuis la fin des années 1920, la migration depuis les campagnes vers les villes est importante : les populations espèrent y trouver du travail, avoir une vie moins pauvre et discriminante. Bon, pour la plupart la vie ne s’arrange pas beaucoup, la pauvreté et les discriminations sont toujours présentes. Mais le blues migre avec les populations, ce qui fait qu’en 1940, la scène blues est plutôt riche. Les premières radios spécialisées commencent à apparaître et à faire la promotion de ce style.

Un conducteur de tracteur et trafiquant d’alcool va se faire repérer par Alan Lomax (vous savez, un des deux musicologues de tout à l’heure), qui va le faire monter à Chicago. Muddy Waters, de son nom de scène, se distingue des autres bluesmen par l’utilisation de la guitare électrique. Ce n’est pas vraiment le premier à l’utiliser, mais il devient une icône car il va en optimiser le jeu. 

Muddy Waters

À partir de là, la guitare électrique se répand dans le blues et fait apparaître le “Chicago blues”. Le public blanc commence à s’y intéresser et se déplace de plus en plus aux concerts. 

L’arrivée de la guitare électrique fait aussi apparaître le rhythm and blues (R&B), un sous genre mélangeant jazz et blues. Cependant, à l’origine le terme de “rhythm and blues” ne désignait pas un style de musique mais était utilisé pour remplacer le terme de “race music” qui était devenu péjoratif. Ce sous genre a évolué de nos jours en R&B contemporain.

1950 : L’évolution du blues

Dans les années 1950, le blues se mélange au jazz et fait apparaître la soul, le funk (avec James Brown) et le rock & roll, notamment avec Elvis Presley et Chuck Berry.

Elvis Presley
Chuck Berry

Le rock d’Elvis Presley traverse l’océan et atterrit au Royaume-Uni. Les Beatles apparaissent et gagnent en popularité, ce qui incite les jeunes britanniques à s’intéresser aux origines du blues. Ces jeunes vont retrouver des enregistrements de Delta et Chicago blues. De tout ceci va émerger, au Royaume-Uni, des petits groupes comme les Rolling Stones ou The Animals.Cette popularité croissante du blues en Angleterre va pousser des bluesmen comme Muddy Waters à venir faire des tournées. Mais ces artistes ne se déplacent pas toujours avec leur groupe donc ils font appel à ces petits groupes britanniques pour les accompagner.

The Beatles
The Rolling Stones

Ces groupes britanniques composés de musiciens blancs ne se sentent pas vraiment légitimes à jouer la musique des fils d’esclaves noirs-américains, ce qui va influencer leur style. En effet, chaque groupe anglais va développer son propre univers musical.

Eric Clapton

Eric Clapton émerge dans les années 1960. C’est un véritable virtuose du blues. Rapidement surnommé “Dieu” par ses fans, c’est une figure de la scène anglaise. Avec son groupe Cream, il va emmener le blues dans des contrées psychédéliques. Cependant, un jeune musicien du nom de Jimi Hendrix débarque à Londres en 1966, les deux artistes se rencontrent, Clapton se sent dépassé et se voit un peu destituer de son titre de “Dieu”.

Eric Clapton

Aujourd’hui, on peut retrouver du blues dans pratiquement chaque style de musique, tant son influence a été importante, que ce soit dans le rock, le jazz ou encore la pop.

Tout comme le jazz, le blues a su se réinventer durant plus d’un siècle, a fait danser des millions de personnes, mais a surtout permis aux populations noires, persécutées depuis trop longtemps, de s’émanciper de l’oppression des blancs. La musique blues a été un véritable symbole d’une lutte sociale qui n’est, malheureusement, toujours pas terminée.

SOURCES

https://www.youtube.com/watch?v=jxs6dnpS8Ro&ab_channel=LeDisquaire

https://fr.wikipedia.org/wiki/Delta_blues

https://fr.wikipedia.org/wiki/Blues

https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Johnson

https://www.youtube.com/watch?v=wPhAFU0wZKA

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_du_blues

https://www.bo-blues.fr/toute-la-musique/les-instruments-du-blues

https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/William_Christopher_dit_WC_Handy/180252

https://www.musicologie.org/publirem/blues_et_jazz.html

https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/la-chronique-d-aliette-de-laleu/il-y-a-100-ans-mamie-smith-enregistrait-le-premier-disque-vocal-de-blues-4755187

https://fr.wikipedia.org/wiki/Freddie_Spruell

https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Lomax

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Lomax

https://sagesreponses.fr/quels-sont-les-premiers-enregistrements-de-blues/

https://www.youtube.com/watch?v=hEMm7gxBYSc&ab_channel=NirvanaVEVOhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Leadbelly

https://www.youtube.com/watch?v=DLyRYkBkcAg&ab_channel=SEB