FOCUS SUR LE JAZZ

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Le jazz, c’est quoi ? D’où ça vient ?

Le jazz est un style de musique majeur du 20ème siècle né aux États-Unis de la “confrontation” entre la musique des esclaves, des européens et des créoles (personnes nés dans les anciennes colonies). Son berceau est le quartier de Storyville à la Nouvelle-Orléans, ville du sud des USA dans l’État de Louisiane sur les bords du Mississippi.

Carte indiquant en rouge la situation géographique de la Nouvelle-Orléans

Avec le temps, le jazz va migrer vers le nord des USA (Chicago puis New York principalement), traverser l’Atlantique pour atteindre l’Europe, notamment Paris, pour ensuite conquérir le monde.

Contrairement à la musique classique qui se joue en récitant des partitions, le jazz laisse énormément de place à l’improvisation et à la créativité de l’artiste. C’est un style qui utilise la syncope, c’est-à-dire qui accentue plutôt les temps faibles dans une rythmique, contrairement à la plupart des autres styles qui accentuent les temps forts.

Ses instruments principaux sont :

  • la contrebasse
  • la guitare basse et électrique
  • le piano
  • la batterie
  • les cuivres (saxophones, trombone, trompette, etc…)

Il existe plusieurs théories, plus ou moins crédibles, concernant l’origine du terme “jazz”. En voici quelques unes : 

  • Pour certains cela viendrait de l’expression “ça va jaser”, venant de la crainte des conséquences du bruit du jazz sur le voisinage.
  • Pour d’autres, cela viendrait du jasmin, plante très utilisée à la Nouvelle-Orléans.
  • D’autres encore disent que cela descendrait de termes africains, comme “jaja” qui veut dire danser dans une langue d’un peuple africain.

Autrement dit, on ne sait pas d’où vient le terme “jazz”, mais on sait d’où provient la musique jazz.

Plus qu’un simple style de musique, le jazz est une véritable expression d’une lutte sociale, qui a permis peu à peu à la communauté afro-américaine de s’émanciper de l’oppression des occidentaux.

Les origines du jazz 

17ème siècle : les work songs

Au 17ème siècle se déroule une des périodes les plus sombres de notre histoire. En effet, les occidentaux pratiquent le commerce triangulaire, c’est-à-dire la traite des noirs. Ils kidnappent des africains pour les envoyer en Amérique et les réduire en esclavage afin de satisfaire les besoins en coton et en sucre des européens. C’est dans ces plantations que le jazz prend sa source, car ici naissent les “Work songs”, des chants inventés par les esclaves, sur le modèle de Call & Response (successions de deux phrases musicales, la deuxième étant un commentaire ou une réponse à la première) qui accompagnent le rythme de leurs outils et les aident à se motiver, à tenir le coup.

Une fois la journée de travail terminée, les esclaves prenaient leurs instruments fabriqués avec des matériaux de récupération comme des canettes, des cordes ou du bois, ce qui donnera le blues (blue devils, qui se traduit par “idées noires”).

Esclaves jouant de la musique

1865-1920 : Abolition de l’esclavage et ségrégation raciale

Fin de la guerre de sécession

En 1865, après 4 années de guerre civile, la guerre de sécession prend fin. Par la même occasion, l’esclavage est aboli. Cependant, la ségrégation raciale continue ; les noirs ne jouissent pas des mêmes droits que les blancs, l’accès à de nombreux lieux publics leur sont restreints et personne ne les embauche.

Affiche de minstrel show

Seul le milieu du divertissement populaire accepte de donner du travail aux personnes noires. À cette époque, il existe les “Minstrel show”, ce sont des spectacles de cabarets dans lesquels des blancs se peignent le visage pour jouer des rôles de noirs. Les cabarets commencent donc à engager des noirs pour jouer les rôles de personnes noires.

Le quartier de Storyville

Ils jouent ces spectacles dans des cabarets, des salles de divertissement et des bars, principalement situés dans le quartier de Storyville, quartier du vice où l’on trouve beaucoup de divertissement, de drogue et de prostitution (ce qui donnera pendant longtemps une image de “musique sale” au jazz). Dans ces bars, on commence à les laisser jouer des instruments, comme du piano ou des instruments de fanfares (cuivres). Les patrons de bar ne sont pas très regardants sur la musique jouée, les noirs ont donc une grande liberté d’interprétation et d’improvisation. En 1917, le quartier de Storyville est contraint à la fermeture car La Navy (force armée de la marine aux USA) y a implanté une base.

Quartier de Storyville

Le ragtime

Rapidement, l’industrie du divertissement comprend l’intérêt financier du jazz/ragtime (style au rythme syncopé, saccadé, considéré comme principal précurseur du jazz). Ce type de musique commence à sortir de Storyville et se répand dans la Louisiane. Des fanfares se montent, jouent lors de mariages, enterrements ou cérémonies.

En 1899,  la première association entre un producteur blanc : John Stillwell Stark et un artiste noir : Scott Joplin voit le jour. “Maple Leaf Rag” est un morceau de style ragtime.

Cependant l’artiste se fait tout de même arnaquer et meurt ruiné, mais il aura donné un élan au ragtime qui sera beaucoup utilisé dans le cinéma muet des années 20 et donnera le jazz.

Scott Joplin
“Maple Leaf Rag”, publié en 1899

Le premier enregistrement de jazz

Le 26 février 1917, le premier enregistrement dit de jazz apparaît. Le groupe Original Dixieland Jazz Band sort deux titres sur vinyle : “Livery stable blues” et “Dixie jass band one-step” et s’autoproclame inventeur du jazz. 

Photo du “Original Dixieland Jazz Band”

Bien que le 78 tours soit un véritable succès, il crée un scandale car c’est un groupe de 5 hommes blancs, qui se sont appropriés la musique que jouaient les musiciens noirs. Le terme de “jazz” est donc rejeté par beaucoup de musiciens afro-américains qui considèrent que le jazz est une création des blancs pour faire de l’argent sur la musique des noirs. Ils préfèrent donc parler de “Great Black Music”, terme qui englobe tous les styles de musique joués par les noirs tels que le blues, le gospel, le jazz et plus tard la soul ou encore le funk.

1920-1930 : L’explosion du jazz

De la Nouvelle-Orléans à New-York, en passant par Chicago

Nous sommes peu de temps après la fin de la Première Guerre Mondiale et l’industrialisation est en plein essor. Le besoin en main d’œuvre est important, surtout dans le nord des États-Unis, ce qui entraîne des migrations importantes en provenance du sud, vers des villes comme Chicago et NewYork. Une grande partie de ces migrants sont des afro-américains, qui emmènent avec eux la musique jazz. Chicago est la première terre d’accueil du jazz dans le nord du pays. “Grâce” à la guerre, le jazz a également pu traverser l’Atlantique et rejoindre l’Europe.

Développement de l’enregistrement

Au début du 20ème siècle, l’enregistrement audio voit de grandes innovations apparaître. Elles permettent d’améliorer grandement la qualité du son et l’utilisation des appareils. Dans un premier temps, des sons de blues chantés par des femmes noires et accompagnées aux instruments par des hommes noirs sont enregistrés.

Bessie Smith par exemple, est une des figures féminines de la “Great Black Music”, elle enregistre son premier titre “Downhearted Blues” chez Columbia Records en 1923. S’ensuivent des enregistrements de musique jazz.

Bessie Smith

Louis Armstrong

En 1922, Louis Armstrong, une des figures les plus influentes du jazz, accompagne le mouvement d’exode vers Chicago où il est engagé comme second trompettiste dans le King Oliver’s Creole Jazz Band. C’est dans ce contexte bouillonnant qu’il enregistre ses premiers disques.  Louis Armstrong a contribué énormément à populariser le scat, un dérivé du jazz se basant sur l’improvisation d’onomatopées. Il se déplace ensuite, comme beaucoup d’autres musiciens, vers New-York car beaucoup de clubs s’y forment. New-York devient la ville symbole du jazz.

Louis Armstrong

La prohibition aux USA

Afin de tenter de mettre fin aux dérives causées par la consommation d’alcool, les États-Unis votent la prohibition à l’échelle nationale en 1920. Cette prohibition interdit la vente, la fabrication, le transport et la consommation d’alcool.

La prohibition étant appliquée, des bars clandestins commencent à apparaître. Les jazzmen jouent dans ces bars et les gens qui viennent consommer découvrent en même temps ce style de musique. En parallèle de l’image “sale” du jazz (vu précédemment), se développe une image “cool” et “branchée”

La popularité de Duke Ellington et Ella Fitzgerald, deux figures emblématiques du jazz, contribue à faire sortir le style des petits bars clandestins.

Duke Ellington
Ella Fitzgerald

La fin de la prohibition

Le swing

À la fin de la prohibition (1933), le jazz évolue en Swing, un style plus dansant et festif, c’est la danse caractéristique des années 1930. Le style se répand, s’institutionnalise, il devient beaucoup plus écrit et il n’y plus de place pour l’improvisation. Les groupes s’agrandissent, deviennent des “Big band” et comptent plus ou moins une vingtaine de musiciens. Ils jouent dans des grandes salles comme des halls d’hôtel par exemple. Cela devient une “musique de blanc” et le swing sera le style le plus écouté à la radio durant toutes les années 1930.

Deux des compositeurs les plus célèbres du swing sont Benny Goodman et Glenn Miller.

Benny Goodman
Glenn Miller

1945-1970 : La révolution du jazz

1940-1950 : le bebop et le cool jazz

Dans les années 1940 à 1950 apparaît le style bebop qui révolutionne le monde du jazz. Les musiciens se réapproprient le jazz par ce style qui se veut anti-swing, que les jazzmen considèrent trop lisse et commercial. C’est à ce moment-là qu’apparaît le jazz moderne tel qu’on le connaît. Le rythme est accéléré et moins dansant, les groupes se réduisent et souhaitent renouer avec les valeurs du début du jazz (l’improvisation réapparaît). Le saxophoniste Charlie Parker est une des grandes figures du bebop.

Charlie Parker en 1947

Miles Davis

Dans ces années-là, le trompettiste Miles Davis (ayant joué avec Charlie Parker) invente le cool jazz, style avec un tempo beaucoup plus lent, une rythmique presque effacée. C’est un véritable succès car c’est un style moins pointu et plus accessible. Le cool jazz sera beaucoup utilisé dans le cinéma hollywoodien. 

1950-1960 : le hard bop

Dans les années 50-60, le hard bop apparaît dans un contexte mouvement des droits civiques aux USA et de l’idée d’émancipation identitaires des populations afro-américaines. Le hard bop refuse les codes de la musique occidentale, il reprend certains codes du be bop comme l’harmonie, mais réduit le rythme et ajoute du groove (rythme aux caractéristiques très entraînantes). Une des figures emblématiques du hard bop est Sonny Rollins.

Sonny Rollins

1960-1970 : le free jazz

Dans les années 60-70, le mouvement hippie naît. C’est un mouvement de contre-culture rejetant les valeurs traditionnelles et la société de consommation. Ce mouvement influence énormément la musique et le jazz n’y échappe pas. C’est dans ce contexte que naît le free jazz, un genre de jazz que l’on peut qualifier d’expérimental, où il n’y a plus de code et s’apparente donc à de l’art abstrait. L’improvisation est totale, les musiciens improvisent ce qu’ils veulent de leur côté.

C’est dans ces années là que le jazz commence à se répandre autour du globe, des mélanges de jazz avec d’autres styles de musique se crée dans le monde entier, comme par exemple : 

  • le latin jazz (jazz + rythmes cubains)
  • le jazz fusion (jazz + rock)
  • la bossa nova au brésil (jazz + samba)

etc… 

Années 1970 : le tournant de la soul et du funk

Les années 70 correspondent à l’âge d’or de de la musique soul et funk. La soul est un style descendant du gospel, du blues et du jazz, avec beaucoup de groove et moins d’improvisation. Ray Charles est la figure emblématique de la soul.

Ray Charles
James Brown

Le funk, lui, descend de la soul et du jazz principalement et est caractérisé par une forte présence de la rythmique (batterie), de la guitare, de la basse et des cuivres. Tout comme la soul, c’est une musique avec beaucoup de groove. Des artistes comme Stevie Wonder ou James Brown sont des icônes de ce domaine.

 Ces deux styles font beaucoup d’ombre au jazz dans la forme dans laquelle on le connaît.

1980 : le jazz s’essouffle

Dans les années 80, c’est la grande époque des synthés et on a l’impression que le jazz s’essouffle. Il ne disparaît pas vraiment pour autant, il continue à vivre en dialoguant avec les nouveaux styles de musique qui apparaissent, comme la musique électronique par exemple. Les formes de jazz plus classiques ne sont plus sur le devant de la scène et sont réservées à un public plus restreint.

Aujourd’hui

Depuis les années 80, le jazz n’a pas connu de révolution majeure. Il représente aujourd’hui environ 5% du marché du disque et est plutôt destiné à un public d’initiés. Cependant le jazz est présent dans énormément de styles musicaux car la plupart en sont plus ou moins dérivés. De plus, la nouvelle génération d’artistes réinvente le jazz en le mélangeant à d’autres styles musicaux. De nombreux festivals de jazz ont lieu de nos jours. Il en existe une multitude en France, l’un des plus connus est le “Jazz In Marciac” dans le Gers.

Aujourd’hui, on peut dire que le hip hop est en quelque sorte le descendant du jazz car il a pris le relais des revendications sociales et est le symbole de la musique afroaméricaine, du moins dans les années 2000. On y retrouve également beaucoup d’improvisation (au chant), comme dans le jazz.


Bien que le jazz tel qu’on l’entend ne soit plus aussi présent qu’auparavant et plutôt réservé à un public dinitié, il est présent sous une multitude d’autres formes. La grande majorité des styles que nous connaissons descend du jazz. Le jazz a su se réinventer durant un siècle, a fait danser des millions de gens mais a surtout permis aux populations noires, persécutées depuis trop longtemps, de s’émanciper de l’oppression des blancs. La musique jazz a été un véritable symbole d’une lutte sociale qui n’est, malheureusement, toujours pas terminée.

Sources