FOCUS SUR LA TECHNO

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La techno, c’est quoi ?

La techno est un genre de musique électronique apparu à Détroit aux États-Unis au milieu des années 1980, en parallèle de la house music de Chicago. La musique électronique englobe tous les styles de musique conçus avec des instruments électroniques, tels que des synthétiseurs ou des boîtes à rythmes.

Les musiques sont composées en studio pour être réinterprétées ensuite par des Dj’s devant un public avec des platines vinyles et/ou numériques, reliées à une table de mixage. On appelle cela des Dj sets.

Exemple de set-up Dj, table de mixage au centre, platines vinyles à ses côtés et platines numériques aux extrémités.

Parfois, les Dj’s recréent entièrement leur musique (ou improvisent) avec leurs instruments électroniques directement devant leur public. On parle alors de Dj live.

La techno s’inspire donc de la musique disco, house, new wave, soul et funk. c’est une musique électronique hypnotique, répétitive, “profonde” et instrumentale. Lorsque des voix sont utilisées, elles font office d’instruments pour servir la musicalité du morceau, donc le fond importe peu. La techno s’apprécie sur la longueur, de par les petites variations de rythme ou de sonorités. C’est pourquoi les morceaux dépassent facilement les 5 minutes, voire 10 minutes parfois.

Les origines de la techno

DETROIT : croissance et déclin

L’histoire de la techno commence au milieu des années 1980 à Détroit dans l’état du Michigan, au nord-est des États-Unis

Carte situant Détroit.

Mais faisons un petit retour dans le temps afin de comprendre le contexte de la naissance de cette culture. Tout d’abord, comme beaucoup d’autres villes aux USA, la ségrégation raciale est très forte à Détroit depuis l’abolition de l’esclavage.

La conception même de la ville est faite se sorte à séparer les populations noires des blanches : un énorme boulevard sépare la ville (et les populations) en deux et rend difficile l’accès d’un côté à l’autre.

Boulevard séparant Détroit en deux.

Même sa construction dans les années 1950 avait nécessité de raser plusieurs quartiers et de déplacer près de 160 000 personnes, principalement afro-américaines mais aussi des immigrés juifs, européens et arabes.

Depuis le début du 20ème siècle, Détroit est une ville industrielle connaissant une croissance exponentielle. Beaucoup d’industries (charbon, fer) y sont implantées, mais la plus présente est l’industrie automobile, si bien que la ville sera surnommée “Motor city« .

Usine Ford en 1957 à Détroit.

Mais cette croissance fulgurante sera suivie d’un déclin tout aussi important. D’abord, à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, un phénomène appelé le “White flight” apparaît. Ce nom désigne l’exode des populations blanches en direction des banlieues. Le centre-ville est donc laissé aux populations noires qui se sentent abandonnées, sentiment qui s’intensifie avec l’abandon des pouvoirs publics. Tout ceci crée un climat de tension duquel découlera des émeutes, dont la plus violente fait 40 morts pour 400 blessés et des milliers de bâtiments dévalisés et/ou détruits en 1967.

Émeute de Détroit.
Émeute de Détroit.

La crise pétrolière de 1970 n’arrange rien, les entreprises de construction automobile ferment leurs portes, ce qui augmente gravement le chômage et la pauvreté. Dans ce contexte de violence, de pauvreté et de racisme extrême, la ville se dépeuple rapidement : elle passe de 2 millions d’habitants en 1950 à 1 million en 1980.

La ville se vide et beaucoup de bâtiments se retrouvent en ruines.

Phénomène qui continue encore aujourd’hui car en 2020 la ville ne comptait que 600 000 habitants. Les bâtiments sont en ruines, les commerces mettent la clé sous la porte et les pouvoirs publics ne financent plus rien.

DETROIT : le label Motown

Détroit possède un fort passé musical, notamment avec la soul et la funk.

Le label Motown, créé en 1959 à Détroit et qui a fait connaître beaucoup d’artistes tels que les Jackson Five ou encore Stevie Wonder, est une des seules choses restantes dans la ville.

Seulement, en 1971 c’est la goutte de trop : Motown décide de délocaliser à Los Angeles. La population se sent trahie et rejette les musiques de soul ou de Rhythm and Blues, ainsi que les grandes radios américaines. 

Mais comme on vit difficilement sans musique, la population se tourne donc vers les musiques électroniques venant d’Europe avec des groupes comme par exemple les allemands Kraftwerk, dont l’album “Autobahn” paru en 1974 est le premier qui peut s’apparenter à de la techno.

Kraftwerk donne un concert à Détroit en 1981, avec notamment le titre “Numbers” qui sera un carton. Et quand on y pense, c’est assez logique que Kraftwerk ait du succès à Détroit, car leur direction artistique tourne plus ou moins autour de la robotique (“Die Roboter”, “The Robots”), ce qui parle aux habitants de Détroit qui ont l’habitude de travailler avec des robots à cause de l’industrie automobile.

Kraftwerk.

DETROIT : naissance de la techno

C’est donc dans ce contexte d’abandon, de peur du post-industriel et de l’insécurité que cela engendrait qu’un mouvement musical portant un message de rébellion et de protestation apparaît peu à peu au début des années 1980.

Ce mouvement émerge en parallèle de la House Music à Chicago, mais alors que la house se tourne plutôt vers le passé, beaucoup influencée par la disco, la techno se veut plus “futuriste”. Elle tire ses influences dans la new-wave, mais aussi dans la disco avec des sonorités robotiques qui font plus futuristes. Plus largement, la techno est influencée par la musique électronique européenne avec des artistes comme Depeche Mode ou encore Giorgio Moroder.

Giorgio Moroder dans les années 1980.

À cette époque, il n’y a pas de clubs à Détroit. Des lycéens vont donc créer des associations et des collectifs pour organiser leurs soirées, dans des lieux désaffectés comme des usines par exemple (ce qui, vous l’aurez compris, ne manquent pas à Détroit). Des artistes vont commencer à émerger, un des tout premiers sons électro de Détroit sort en 1981 : Sharevari” de A Number of Names. Le titre étant une référence à une célèbre soirée du même nom à Détroit.

Ce genre de soirées, bien que très populaires, vont peu à peu s’arrêter en 1983 car, n’ayant pas enlever la violence de Détroit, des assassinats et règlements de compte surviennent lors de ces soirées. 

Elles ont cependant permis de créer un terreau fertile pour différentes personnes baignées dans cette nouvelle culture musicale. Ce terreau va donner des idées à des animateurs de radio, des fondateurs de club et des artistes.

Du côté de la radio, le Dj Electrifying Mojo anime une émission de radio très influente à Détroit dans laquelle il passe beaucoup de sons de musique électronique, ce qui influence beaucoup les artistes des années 1980.

Electrifying Mojo.

Du côté des clubs, le Music Institute est créé en 1987 et devient le premier club techno du monde. Nous avons donc une scène très underground, uniquement trouvable à Détroit.

DETROIT : ARTISTES pionniers

Les Belleville three et Cybotron

Tout comme énormément de styles de musique (le jazz, le blues ou encore le hip-hop), la techno est un style de musique inventé par les populations afro-américaines. Les 3 véritables pionniers, surnommés les Belleville three, sont Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson

Juan Atkins à gauche, Derrick May à droite et Kevin Saunderson au centre.
Juan Atkins
Derrick May
Kevin Saunderson

Leur rencontre est assez drôle : Juan et Derrick étaient déjà potes lorsque Kevin arrive dans le lycée de Belleville (car il est originaire de Brooklyn). Derrick embrouille Kevin, ce dernier se défend et le met KO. Puis ils deviennent meilleurs amis par la suite.

Juan Atkins était surnommé “the Originator” (le créateur), Derrick May “the Innovator” (l’innovateur) et Kevin Saunderson “the Elevator” (littéralement “l’ascenseur”).

Juan Atkins sort ses premiers disques en 1981 et forme le duo Cybotron avec Richard Davis qu’il rencontre à l’université. Ils sortent le single “Alleys of your Mind”.

Ils se font repérer, commencent à jouer sur Détroit et sortent “Clear” en 1983 qui devient un tube et est joué partout dans la ville.

Mais Richard, contrairement à Juan, souhaite dériver sur des sons plus rock. Ils sortent “Techno City” en 1984. Atkins trouve que c’est trop pop/rock et décide de partir en solo

Juan Atkins fonde le label Metroplex en 1985, naissance symbolique de la techno. Il change de pseudo pour Model 500 et sort “No UFO’s”, titre considéré comme de l’électro plutôt que de la véritable techno.

Vinyle d’un disque du label Metroplex.

Derrick May adorait la house de Chicago et voulait la mélanger à l’électro de son ami Juan Atkins. Il lance son label Transmat et sort son premier single “Nude Photo” en 1987 sous le pseudonyme Rhythim is Rhythim. Au final, la techno est donc plus ou moins une fusion entre la house de Chicago et l’électro du début des années 1980.

Kevin Saunderson, lui, commence à produire ses premiers morceaux en 1986, notamment “Bounce Your Body to the Box”, sous le pseudo Reese.

Aujourd’hui, Juan Atkins et Derrick May ont plus ou moins disparu de la scène (Derrick May est accusé de plusieurs agressions sexuelles). Kevin Saunderson, lui, continue toujours de produire des morceaux et de jouer sur scène.

D’autres artistes, bien qu’arrivées un peu plus tard, sont considérées comme des pionniers de la techno. Deux des plus emblématiques sont Richie Hawtin et Jeff Mills.

Jeff Mills.
Richie Hawtin

Techno! The New Dance sound of Detroit

Bon, nn parle de techno depuis le début mais c’est un peu anachronique. Le terme “techno” existait, mais était utilisé comme un adjectif et non pas pour désigner précisément un style de musique. On disait que telle ou telle chose était techno, en référence à la technologie. C’est grâce à la compilation anglaise de 1988 Techno! The New Dance Sound of Detroit” que l’appellation sera gravée et utilisée pour définir le style.

Neil Rushton, un ancien Dj et patron de label anglais, importe des disques de Chicago House en Angleterre. Le problème que rencontre Neil, c’est que la plupart des titres des grands labels de house ont déjà été importés par les gros labels anglais, la house étant en train d’exploser dans ce pays en 1987

Neil Rushton.

Il se tourne donc vers des labels moins connus, plus “underground” et parcourt les bacs chez les disquaires. Il tombe sur un disque du label Transmat (vous savez, le label de Derrick May). Il appelle le numéro de téléphone indiqué sur le disque, tombe directement sur Derrick et lui dit de venir à Londres car il veut importer ses disques. Derrick est réticent, les artistes de Détroit sont pauvres, font de la musique pour quelques centaines de personnes et ne s’imaginent pas une seconde que des milliers d’européens dansent sur ce type de musique tous les week-ends. 

La mère de Derrick réussit à le convaincre de traverser l’Atlantique. Neil s’aperçoit que Derrick n’est pas le seul et qu’il existe toute une scène musicale à Détroit. Il va donc décider de créer cette compilation, qui devait s’appeler au départ “The House Sound of Detroit” (sur le même modèle que beaucoup de compilations se nommant “The House Sound of Chicago”).

Mais au fur et à mesure de la conception de la compilation, Neil s’aperçoit que la musique est bien différente de la house de Chicago, c’est un son et une scène propre à Détroit. En discutant avec Derrick May, il vont décider de nommer le style “Techno”, en référence à l’adjectif qui était déjà utilisé.

Cover de la compilation.

La première version de la compilation ne se vendra pas beaucoup, les anglais découvrent déjà la house et l’acid house et n’ont pas besoin d’un nouveau style. Mais le titre de kevin Saunderson Big Fun” ajouté sur la deuxième version de la compilation va tout changer et faire exploser le style en Europe

Les artistes passent rapidement de pauvres petits artistes à super-stars européennes dont les clubs s’arrachent les contrats, ce qui va un peu déchirer la scène de Détroit. Certains vont décider de s’installer en Europe et d’autres vont prendre la grosse tête, comme Juan Atkins par exemple qui le reconnaîtra plus tard en interview. 

Le mouvement Techno est officiellement né.

De Détroit à Berlin

La chute du mur

On peut considérer que Berlin est la seconde capitale de la techno. En effet, le contexte social et économique n’est pas le même qu’à Détroit mais reste similaire sur beaucoup de points : il y a une forte pauvreté et un manque de liberté, surtout à Berlin Est dirigé par l’URSS.

Monika Dietl.

La culture techno est déjà présente à Berlin Ouest avant la chute du mur, mais reste très underground et méconnue. À l’ouest, certaines émissions de radio consacrées à (dans un premier temps) l’Acid House voient le jour, notamment celle de Monika Dietl qui essaie de démocratiser ces musiques en Allemagne.

Cette émission est écoutée à l’Ouest, mais aussi (illégalement) par certaines personnes à l’Est. D’après les témoignages, cette musique ouvrait sur l’extérieur et donnait envie de s’enfuir de la RDA (Berlin Est). Une musique sans parole, avec peu de mélodie et centrée sur le rythme avec des sonorités électroniques inédites était une promesse de liberté car chacun pouvait se créer son propre univers.

À la chute du mur le 9 novembre 1989, beaucoup de gens en profitent pour passer à l’Ouest car ils pensent que c’est leur seule chance. Les amateurs de l’émission de Monika foncent à l’UFO, le premier club Acid House allemand.

Au printemps 1991, Dimitri Hegemann ouvre le premier club techno avec une adresse et des horaires fixes. Ce lieu emblématique (qui existe toujours aujourd’hui) s’appelle le “Tresor” et accueille un public très diversifié : punks, banquiers, gays, hooligans… s’y retrouvent le week-end.

Dimitri Hegemann aujourd’hui.
Le Tresor

Le mouvement s’installe dans les autres villes d’Allemagne, notamment grâce à une émission de radio présentée par la Dj Marusha qui a énormément contribué à développer ce mouvement.

Dj Marusha

À partir de 1995, les bâtiments désaffectés où s’organisaient les fêtes commencent à se faire détruire pour reconstruire de nouveaux bâtiments. Et comme toute chose qui fonctionne, le mouvement techno est repris par différents acteurs qui comprennent qu’il y a de l’argent à se faire avec. Les Dj’s deviennent des super-stars, les événements techno deviennent des méga-événements. Le mouvement commence à générer beaucoup d’argent et devient commercial. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose, tout n’est pas blanc ou noir car cela permet de faire vivre des acteurs du secteur, de rendre accessible le mouvement à un public plus large et à de nouveaux artistes, ainsi qu’à apporter de plus en plus d’innovations.

Depuis sa création à Détroit dans les années 1980, la techno s’est rapidement exportée dans des villes du monde comme Berlin ou Manchester dont le contexte socio-économique était similaire : pauvreté, manque de liberté

Aujourd’hui, la techno est présente partout dans le monde, des événements ont lieu dans la plupart des pays et des artistes de nombreuses nationalités différentes ont vu le jour, en partie grâce aux innovations qui ont permis de rendre plus accessible la création de ce style de musique (et la musique électronique en général). 

Au départ simple sous-genre de musique électronique, la techno est devenue peu à peu un genre à part entière, qui lui-même possède maintenant ses sous-genres comme la minimal techno, la deep-techno et bien d’autres.

sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Techno

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9clin_de_D%C3%A9troit

https://www.youtube.com/watch?v=y8iDkUuK7wo&ab_channel=HistoiresElectroniquesparDJLittleNemo

https://www.youtube.com/watch?v=0D35HZGgHlw

https://en.wikipedia.org/wiki/Neil_Rushton

https://www.youtube.com/watch?v=linJySpQqX8&ab_channel=DariuszKrawczyk

https://www.youtube.com/watch?v=9wlol5sso6E&ab_channel=TRACKS-ARTE

https://youtu.be/pBXeFMX8jXc

https://www.technomag.fr/zoom-sur-la-culture-techno-berlinoise/#Lhistoire_de_la_techno_berlinoise

https://www.youtube.com/watch?v=pBXeFMX8jXc&t=596s&ab_channel=code61romes

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marusha

https://www.youtube.com/watch?v=UY9j3DVU1kg&ab_channel=ManuChaman

https://fr.wikipedia.org/wiki/French_touch_(musique)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Kraftwerk

https://www.youtube.com/watch?v=pt4aQEXqMRw&ab_channel=MuseumofContemporaryArtDetroit-MOCAD

https://fr.wikipedia.org/wiki/Juan_Atkins